La Falaise rouge

La Lune sur la Falaise Rouge, gravure sur bois de la série "Cent Aspects de la Lune" par Tsukioka Yoshitoshi, 1889.

La Falaise rouge (赤壁賦) est un poème en prose ou fu (賦), en deux parties, écrit en 1083 par Su Shi (蘇軾), lettré, poète, peintre et calligraphe chinois, durant la période Song. Il raconte deux excursions qu’il a faites avec des amis, sur le fleuve Yangzi Jiang, là où Cao Cao (曹操) a été vaincu lors de la bataille de la Falaise rouge.

Ode à la nature, le texte est empreint de culture taoïste.

L’auteur a lui-même calligraphié la première partie du poème, sur rouleau papier. Celui-ci est aujourd’hui conservé au musée national du Palais de Taipei à Taïwan. En 2009, il a fait partie des œuvres présentées dans le cadre d’une exposition consacrée à la Falaise Rouge.

Texte

Il s’agit d’un poème en deux parties, mais cet article ne traite que de la première[1].

Historique

Le 16e jour de la 7e lune, à l’automne 1082, Su Shi et ses amis font deux excursions en bateau sur le fleuve Yangzi Jiang. Ils remontent le fleuve sur le site où s’est déroulée la célèbre bataille de la Falaise rouge, neuf siècles plus tôt. L’année suivante, un haut fonctionnaire ami de Su nommé Fu Yaoyu (en) 傅堯俞 (1024-1091), lui demande d’écrire un texte racontant les deux voyages. En réponse à ce souhait, il compose un poème en prose en deux parties, ou fu, intitulées : «Odes à la falaise rouge».

À la fin du rouleau figure la phrase : «Su Shi a composé ce fu l'année dernière(苏轼 軾去歲作此賦)», ce qui indique que l'année de rédaction est 1083, soit la sixième année de Yuanfeng (元豐). Mais, quand celui-ci le remet à son ami, il le supplie de n’en parler à quiconque et de le tenir caché, craignant une réaction négative de la part de l’empereur Song Shenzong, au cas où il en prendrait connaissance. En effet, la La Falaise Rouge est écrite durant la période où une rivalité politique oppose les « conservateurs »(dont il fait partie) aux « réformistes » dirigés par le vice-premier ministre en exercice Wang Anshi.

Ayant déjà connu l’exil à cause de ses écrits, Su est sur ses gardes, d’où les craintes exprimées ici[2].

Histoire vécue ou fiction

Presque tous les spécialistes s’accordent pour considérer le poème comme rapportant une expérience vécue. Mais le sinologue américain Robert E. Hegel (en) n’est pas de cet avis. Selon lui, toutes les précisions données dans le poème (date, circonstances, lieu, heure, les sons, les images…), laissent penser qu’il s’agit d’une histoire vécue. Il en doute et écrit :

« Le texte donne la date précise et les circonstances de la sortie sont présentées de manière très détaillée. Les lecteurs sont également informés des images et des sons du lieu et de l'heure […]. Ainsi, la pièce a généralement été lue comme s'il s'agissait d'un journal intime détaillé. Mais ce n'est pas le cas. Il ne s'agit pas non plus d'un récit entièrement fictif. C'est une sorte d'essai, un fu, mais pas comme le fu en prose "wenfu" développé à cette époque dans le cadre du mouvement guwen ou prose classique […]. C'est un exercice littéraire composite, une œuvre d'art très soigneusement construite qui suggère une variété de lectures, en plus de l'interprétation commune de l'œuvre comme autobiographie[3],[4]. »

Résumé de la première partie

Su Shi et ses amis font une croisière sur le Yangzi Jiang, sur les lieux où se déroula en 208-209 la bataille de la Falaise rouge, qui vit la défaite du seigneur de guerre Cao Cao. C’est une nuit de pleine lune. Un vent léger souffle, trop faible pour faire danser les vagues. L’atmosphère est paisible. Pour saluer cette quiétude, Su Shi invite ses compagnons à boire une coupe de vin, avant de réciter un poème adressé à la lune qui brille.

Un de ses amis musicien l'accompagne à la xiao, flûte traditionnelle chinoise. La mélodie est triste. Su Shi lui en demande la raison. Celui-ci lui répond que dans les moments simples de plaisirs partagés, comme c’est présentement le cas, il se sent envahi par la nostalgie du lieu, où jadis Cao Cao a été vaincu.

Su Shi lui répond qu’il faut profiter des trésors éternels tels que le vent et la lune sans penser à rien d’autre. Sans chercher non plus à se les approprier car ils n’appartiennent en propre à personne, qu'entre le ciel et la terre, chaque chose a son propre maître. Le vent soufflant sur la rivière et le reflet de la lune sur les montagnes sont des trésors inépuisables dus au Créateur. Ils doivent être contemplés dans leur éternité, non en fonction de leur aspect changeant. Les écouter, les regarder tels qu’ils sont. Rien de plus.

Après avoir entendu ces paroles, l’ami musicien sourit, apaisé et heureux. Puis, tous ensemble ils terminent leur repas, boivent du vin et s’endorment sur le bateau[5].

En sa qualité de lettré sous l’époque des Song, Su Shi a une triple culture : confucéenne, bouddhiste chán et taoïste ; l’empreinte de cette dernière, le rapport à la nature, transparaît dans le poème[6].

Traduction

Le poème de Su Shi a été traduit en français par le sinologue Jacques Pimpaneau, dans son ouvrage Su Dongpo. Sur moi-même (2003 et 2017)[7],[8].

Calligraphie

Description

Le rouleau présenté ci-dessous a été calligraphié en 1083 par Su Shi, à l’encre sur papier, dimensions 23,9 cm × 258 cm. Il est détérioré et incomplet, car il manque trente-six caractères de la première partie du poème.

On y distingue également l’écriture de trois autres scripteurs, qui l’ont complété et annoté quatre ou cinq siècles plus tard : le poète Wen Zhengming (文徵明)(1470-1559) ou son fils Wen Peng (en) (文彭) (1497-1573), créateur de sceaux ; le calligraphe Dong Qichang (董其昌),(1555-1636) ; le peintre Xiang Shengmo ou Xiang Yuanbian (項元汴) (1597-1658?)[2].

• Les textes des quatre scripteurs mentionnés ci-dessus figurant sur le rouleau exposé au musée national du Palais de Taipei •
1. Le texte calligraphié par Su Shi, en style régulier avec des éléments en écriture semi-cursive. Les caractères manquants sont signalés par « […] » :

« • 壁賦。壬戌之秋。七月既望。蘇子與客泛舟游于赤壁之下。清風徐來。水波不興。誦明月之詩。
• [...] 舉酒屬客。 [...] 詩。歌窈窕之章。少焉。月出於東山之上。徘徊於斗牛之間。白露橫江。水光接天。縱一葦之所如。陵萬頃之茫然。浩浩乎如憑虛御風。而不知其所止。飄飄乎如遺世獨立。羽化而登僊。於是飲酒樂甚。扣舷而歌之。歌曰。桂棹兮蘭槳。擊空明兮泝流光。渺渺兮余懷。望美人兮天一方。客有吹洞蕭者。倚歌而和之。其聲嗚嗚然。如怨如慕。如泣如訴。餘音嫋嫋。不絕如縷。舞幽壑之潛蛟。泣孤舟之嫠婦。蘇子愀然。正襟危坐。而問客曰。何為其然也。客曰。月明星稀。烏鵲南飛。此非曹孟德之詩乎。西望夏口。東望武昌。山川相繆。鬱乎蒼蒼。此非孟德之困於周郎者乎。方其破荊州。下江陵。順流而東也。舳艫千里。旌旗蔽空。釃酒臨江。橫槊賦詩。固一世之雄也。而今安在哉。況吾與子。漁樵於江渚之上。侶魚蝦而友糜鹿。駕一葉之扁舟。舉匏罇以相屬。寄蜉蝣於天地。渺浮海之一粟。哀吾生之須臾。羨長江之無窮。挾飛仙以遨游。抱明月而長終。知不可乎驟得。託遺響於悲風。蘇子曰。客亦知夫水與月乎。逝者如斯。而未嘗往也。贏虛者如彼。而卒莫消長也。蓋將自其變者而觀之。則天地曾不能以一瞬。自其不變者而觀之。則物與我皆無盡也。而又何羨乎。且夫天地之間。物各有主。苟非吾之所有。雖一毫而莫取。惟江上之清風。與山間之明月。耳得之而為聲。目遇之而成色。取之無禁。用之不竭。是造物者之無盡藏也。而吾與子之所共食。客喜而笑。洗盞更平酌。肴核既盡。杯盤狼籍。相與枕藉乎舟中。不知東方之既白。
•軾去歲作此賦。未嘗輕出以示人。見者蓋一二人而已。欽之有使至。求近文。遂親書以寄。多難畏事。欽之愛我。必深藏之不出也。又有後赤壁賦。筆倦未能寫。當俟後信。軾白。 »

2. Texte ajouté, en style régulier, suivi de quelques annotations en caractères plus petits, écrit soit par le poète Wen Zhengming (文徵明)(1470-1559)soit par son fils, Wen Peng (en) (文彭) (1497-1573), créateur de sceaux :

« •右東坡先生親書赤壁賦。前缺三行。謹按蘇滄浪補自序之例。輒亦完之。夫滄浪之書。不下素師。而有極媿糠粃之謙。徵明於東坡無能為役。而亦點污其前。媿罪又當何如哉。嘉靖戊午至日。後學文徵明題。時年八十又九。 »

3. Texte attribué au calligraphe Dong Qichang (董其昌),(1555-1636) en écriture semi-cursive :

« • 東坡先生此賦。楚騷之一變。此書。蘭亭之一變也。宋人文字俱以此為極則。與參參知。所藏名迹雖多。知無能逾是矣。萬曆辛丑携至靈巖村觀。因題。董其昌。 »

4. Texte attribué au peintre Xiang Shengmo ou Xiang Yuanbian (項元汴) (1597-1658?), en écriture semi-cursive :

« • 右繫文待詔補三十六字。 »

 

Exposition de 2009 au musée national du Palais de Taipei

En 2009, du au , le musée national du Palais de Tapei,Taïwan a consacré une exposition à la Falaise Rouge, intitulée :

 « Mille, mille vagues tourbillonnantes. L'héritage légendaire de la Falaise Rouge »
(A Thousand, Thousand Churning Waves: The Legendary Red Cliff Heritage),

dans laquelle l’historique du poème de Su Shi et le rouleau qu’il a calligraphié était présentés, dans la section :

 « Réminiscences : les récits artistiques » (Reminiscenses: the Artistic Narratives)[2].
Image panoramique
Su Shi. Première partie du poème La Falaise Rouge, calligraphiée par l'auteur en 1083. Encre sur papier. 23,9 cm x 258 cm. Musée national du Palais de Taipei
Voir le fichier

Notes et références

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Former Ode on the Red Cliffs » (voir la liste des auteurs).
  1. Toutes les sources consultées dans le cadre de cet article ne font état que de la première partie du poème, dont le texte a été calligraphié par Su Shi en 1083. Aucun élément d’information se rapportant à la seconde partie ne peut être mentionné à ce stade.
  2. a b et c National Palace Museum, Taipei, Taïwan «The Legendary Red Cliff Heritage».
  3. Robert E. Hegel 1998, p. 11.
  4. Texte en anglais (traduit dans le cadre de cet article): «The text provides the precise date and the circumstances of the outing are presentes in great detail. Readers are likewise provided with the sights and sounds of the place and time […]. Thus the piece has generally been read as if it were a detailed diary. But it is not. Nor is it, presumably, entirely fictionalized, a story. It is a essai of sorts, a fu, but not like the prose fu "wenfu" developed about that time as part of the guwen or classical prose movement […]. It is a composite literary exercice, a very carefully constructed art work that suggests a variety of readings in addition to the common interpretation of the work as autobiography.»
  5. Traduction libre réalisée dans le cadre de cet article à partir du texte original conservé au National Palace Museum (musée national du Palais) de Taipei, Taïwan, car aucune traduction en français libre de droits n’a pu être consultée.
  6. Jacques Pimpaneau 2004, p. 242.
  7. Jacques Pimpaneau 2017, p. 53-56.
  8. Un extrait de la traduction du poème par J. Pimpaneau est cité par la musicologue Véronique Alexandre Journeau, dans son essai intitulé Promenade dans la Chine poétique. Esquisse d’un florilège de la poésie chantée des Tang aux Song, 2013, p.10-11. Cette traduction n'étant pas libre de droits ne peut être reproduite dans le cadre de cet article. Lire en ligne: [1]. Consulté le .

Sources

  • (en) Robert E. Hegel (en), « The Sights and Sounds of the Red Cliffs :On reading Su Shi », Chinese Literature: essays, articles, reviews, vol. 20,‎ , p. 11-30 (20 pages) (lire en ligne, consulté le )
  • Véronique Alexandre Journeau, « Promenade dans la Chine poétique : Esquisse d’un florilège de la poésie chantée des Tang aux Song, p.10-11 », sur hal archives ouvertes.fr, (consulté le ). L’auteure cite une traduction du poème par Jacques Pimpaneau, ouvrage mentionné, p.53-56.
  • Jacques Pimpaneau, Su Dongpo.Sur moi-même, Arles, Éditions Philippe Picquier, 2017 (première parution en 2003), 208 p. (ISBN 978-2-8097-1240-7), p.53-56.
  • Jacques Pimpaneau, Chine. Histoire de la littérature, Arles, Éditions Philippe Picquier, , 452 p. (ISBN 2-87730-702-6) (Première édition en 1989 : 444 p. (ISBN 9782877300292); dernière édition en 2016, 656 p. (ISBN 978-2809712100)).

Liens externes

  • (en) National Palace Museum, Taipei, Taïwan, « The Legendary Red Cliff Heritage : Reminiscences :the Artistic Narratives », sur archive.org-nmp.gov.tw (consulté le ).
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