Pseudo-démonstration d'égalité entre nombres

Le terme pseudo-démonstration d'égalité renvoie à l'apparente exactitude de démonstrations d'égalités qui à l'évidence sont fausses.

Nous nous contenterons ici de regarder le cas d'égalités entre nombres, et nous détaillerons différents vices parmi les plus répandus qui conduisent à ces erreurs. Les méthodes proposées dans cet article se veulent en outre les méthodes les plus courantes, les plus instructives, et dans la mesure du possible, les plus directes.

Pseudo-démonstration via des identités remarquables et division par zéro

Principe

Cette pseudo-démonstration s'appuie sur l'erreur suivante :

Déduire de 0 × a = 0 × b {\displaystyle 0\times a=0\times b} que a = b {\displaystyle a=b} .

Elle s'effectue généralement en deux étapes :

À noter que suivant l'identité remarquable utilisée et la manière dont on s'y prend, on peut obtenir n'importe quelle égalité fausse.

Le jeu consiste surtout à dissimuler la division par zéro dans des opérations très compliquées impliquant un grand nombre d'inconnues, ce qui rend difficile l'identification de la ligne fausse de la démonstration.

Cette technique est notamment utilisée pour « démontrer » que 1 + 1 = 3 dans L'Encyclopédie du savoir relatif et absolu de Bernard Werber.

Exemple

Exemple

Étape 1 :

  • Soit a et b deux réels non nuls, on pose
    a = b {\displaystyle a=b} .
  • On multiplie chaque membre par a {\displaystyle a}  :
    a 2 = a × b {\displaystyle a^{2}=a\times b} .
  • On soustrait b 2 {\displaystyle b^{2}}  :
    a 2 b 2 = a × b b 2 {\displaystyle a^{2}-b^{2}=a\times b-b^{2}} .
  • On factorise chaque membre (dans le premier on utilise une identité remarquable) :
    ( a b ) × ( a + b ) = b × ( a b ) {\displaystyle (a-b)\times (a+b)=b\times (a-b)} .

Étape 2 :

  • On divise par ( a b ) {\displaystyle (a-b)}  :
    a + b = b {\displaystyle a+b=b} .
  • Comme a = b {\displaystyle a=b} , on remplace a {\displaystyle a} par b {\displaystyle b}  :
    b + b = b {\displaystyle b+b=b} ,
  • soit
    2 × b = 1 × b {\displaystyle 2\times b=1\times b} .
  • On divise par b {\displaystyle b}  :
    2 = 1 {\displaystyle 2=1} .

L'erreur est commise au moment où l'on effectue la division par ( a b ) {\displaystyle (a-b)} , car comme a = b {\displaystyle a=b} alors a b = 0 {\displaystyle a-b=0} donc on divise par 0 ce qui est impossible.

 
Variante sans identité remarquable
  • On commence avec la proposition suivante :
    2 = 1 + 1 {\displaystyle 2=1+1}
  • On multiplie chaque membre par ( 2 1 ) {\displaystyle (2-1)}  :
    2 ( 2 1 ) = ( 1 + 1 ) ( 2 1 ) {\displaystyle 2(2-1)=(1+1)(2-1)} .
  • On développe :
    2 × 2 2 × 1 = 2 × 1 + 2 × 1 1 × 1 1 × 1 {\displaystyle 2\times 2-2\times 1=2\times 1+2\times 1-1\times 1-1\times 1} .
  • On soustrait 2 × 1 {\displaystyle 2\times 1} à chaque membre :
    2 × 2 2 × 1 2 × 1 = 2 × 1 1 × 1 1 × 1 {\displaystyle 2\times 2-2\times 1-2\times 1=2\times 1-1\times 1-1\times 1} .
  • On factorise :
    2 × ( 2 1 1 ) = 1 × ( 2 1 1 ) {\displaystyle 2\times (2-1-1)=1\times (2-1-1)} .
  • On peut simplifier et l'on obtient :
    2 = 1 {\displaystyle 2=1} .
  • Il suffit d'ajouter 1 {\displaystyle 1} pour finalement avoir :
    3 = 1 + 1 {\displaystyle 3=1+1} .
Solution : Au moment de simplifier par ( 2 1 1 ) {\displaystyle (2-1-1)} , on fait :
2 × ( 2 1 1 ) ( 2 1 1 ) = 1 × ( 2 1 1 ) ( 2 1 1 ) {\displaystyle {\frac {2\times (2-1-1)}{(2-1-1)}}={\frac {1\times (2-1-1)}{(2-1-1)}}}
donc on divise par 2-1-1 c.-à-d. par 0.
 

Pseudo-démonstration via des équations et confusion entre condition nécessaire et suffisante

Principe

Une autre pseudo-démonstration courante est de restreindre l'ensemble des solutions possibles d'une équation puis d'affirmer qu'un des éléments de l'ensemble est racine.

Elle se déroule ainsi :

  • étude de l'équation (restriction de l'ensemble des solutions possibles à un faible nombre, une ou deux) ;
  • affirmation de l'ensemble des solutions possibles comme ensemble des solutions ;
  • test de l'une des supposées racines et résultat absurde.

Exemple

Exemple

Étape 1 :

Considérons l'équation :

x 2 + x + 1 = 0 {\displaystyle x^{2}+x+1=0} .

Ses solutions sont également celles (à l'exception de zéro) de :

x ( x 2 + x + 1 ) = 0 x 3 + x 2 + x = 0 x 3 = x 2 x {\displaystyle x(x^{2}+x+1)=0\Leftrightarrow x^{3}+x^{2}+x=0\Leftrightarrow x^{3}=-x^{2}-x} .

Or d'après l'équation initiale :

x 2 + x + 1 = 0 x 2 = x 1 {\displaystyle x^{2}+x+1=0\Leftrightarrow x^{2}=-x-1}

donc :

x 3 = ( x 1 ) x = 1 {\displaystyle x^{3}=-(-x-1)-x=1} .

Étape 2 : La seule racine réelle possible est 1.

Étape 3 : En remplaçant x par 1 dans l'équation initiale, on obtient l'égalité 3 = 0 {\displaystyle 3=0} .

 

Pseudo-démonstration via des racines carrées non définies

Principe

Il s'agit ici de l'erreur courante consistant à déduire de a 2 = b 2 {\displaystyle a^{2}=b^{2}} que a = b {\displaystyle a=b} , l'implication correcte étant de déduire de a 2 = b 2 {\displaystyle a^{2}=b^{2}} que | a | = | b | {\displaystyle |a|=|b|} , où |x| est la valeur absolue de x.

Deux étapes :

  • écrire une égalité vraie entre carrés ;
  • appliquer l'implication fausse en écrivant l'égalité sans les carrés (en invoquant une fonction racine carrée non définie, par exemple dans C {\displaystyle \mathbb {C} } ).

On peut généraliser ce principe aux exponentielles complexes en invoquant une fonction logarithme non définie dans l'ensemble de travail, par exemple C {\displaystyle \mathbb {C} } . Les racines carrées s'écrivent z = ± | z | exp ( i arg z 2 ) {\displaystyle {\sqrt {z}}=\pm {\sqrt {|z|}}\exp \left(i{\tfrac {\arg z}{2}}\right)} dans ce dernier ensemble.

Exemples

Exemple

Étape 1 :

Considérons l'égalité 1 = 1 {\displaystyle -1=-1} , qui peut s'écrire sous forme de quotients :

1 1 = 1 1 {\displaystyle {\frac {1}{-1}}={\frac {-1}{1}}} .

Or 1 = i 2 {\displaystyle -1=i^{2}} (voir nombre imaginaire), d'où

1 i 2 = i 2 1 {\displaystyle {\frac {1}{i^{2}}}={\frac {i^{2}}{1}}} .

Étape 2 :

On prend la racine carrée des deux côtés, ce qui donne :

1 i 2 = i 2 1 1 i 2 = i 2 1 1 i = i 1 {\displaystyle {\sqrt {\frac {1}{i^{2}}}}={\sqrt {\frac {i^{2}}{1}}}\Leftrightarrow {\frac {\sqrt {1}}{\sqrt {i^{2}}}}={\frac {\sqrt {i^{2}}}{\sqrt {1}}}\Leftrightarrow {\frac {1}{i}}={\frac {i}{1}}} .

En multipliant par i de part et d'autre, on obtient

1 = i 2 {\displaystyle 1=i^{2}} .

Et puisque i 2 = 1 {\displaystyle i^{2}=-1} , nous avons alors

1 = 1 {\displaystyle 1=-1} .
 
Exemple annexe (via un logarithme)
ln ( 1 ) + ln ( 1 ) = ln ( ( 1 ) 2 ) = ln ( 1 ) = 0 {\displaystyle \ln(-1)+\ln(-1)=\ln((-1)^{2})=\ln(1)=0}

Ainsi,

ln ( 1 ) = ln ( i 2 ) = 2 ln ( i ) = 0 e ln ( i ) = e 0 ( = 1 ) {\displaystyle \ln(-1)=\ln(i^{2})=2\cdot \ln(i)=0\Rightarrow e^{\ln(i)}=e^{0}(=1)}

Et comme l'exponentielle est l'application réciproque du logarithme népérien :

i = 1 {\displaystyle i=1}
 

Pseudo-démonstration via une sommation floue

Principe

En écrivant une somme de manière floue, c’est-à-dire non pas de manière formelle :

S = k = 1 n k {\displaystyle S=\sum _{k=1}^{n}k}

mais avec des points de suspensions :

S = 1 + + n {\displaystyle S=1+\ldots +n}

la variable muette de sommation (notée ici k {\displaystyle k} ) est véritablement passée sous silence et le manque de formalisme des points de suspensions sert à masquer l'erreur.

Méthodologie :

  • faire des calculs sur une somme ;
  • générer une erreur via l'ensemble de définition de la variable muette, autrement dit le nombre de termes ;
  • aboutissement à un résultat absurde.

Variantes

Variante via dérivation

La dérivation va s'effectuer différemment suivant le membre de l'égalité, à gauche il sera question d'une dérivation correcte, et à droite une dérivation sans tenir compte du fait que la variable x est aussi le cardinal de l'ensemble des termes.

Étape 1 : Soit x {\displaystyle x} un entier. Par définition de la fonction carrée :

x 2 = x + + x {\displaystyle x^{2}=x+\cdots +x} ( x {\displaystyle x} termes)

Étape 2 : En dérivant par rapport à x {\displaystyle x}  :

2 x = 1 + + 1 {\displaystyle 2x=1+\cdots +1} ( x {\displaystyle x} termes),

Étape 3 : d'où en simplifiant par x {\displaystyle x}  :

2 = 1 {\displaystyle 2=1}
 
Variante via une suite arithmétique

Cette variante joue sur la somme des n {\displaystyle n} premiers termes de la suite arithmétique des entiers.

Étape 1 :

La somme des n {\displaystyle n} premiers entiers s'écrit :

n N 1 + 2 + 3 + + n = n ( n + 1 ) 2 {\displaystyle \forall n\in \mathbb {N} \quad 1+2+3+\dots +n={\frac {n(n+1)}{2}}}

Cela est vrai également au rang n 1 {\displaystyle n-1}  :

( n 1 ) N 1 + 2 + 3 + + n 1 = ( n 1 ) n 2 {\displaystyle \forall (n-1)\in \mathbb {N} \quad 1+2+3+\dots +n-1={\frac {(n-1)n}{2}}}

D'où en ajoutant 1 {\displaystyle 1} dans chacun des membres :

( n 1 ) N 1 + 2 + 3 + + n 1 + 1 = ( n 1 ) n 2 + 1 {\displaystyle \forall (n-1)\in \mathbb {N} \quad 1+2+3+\dots +n-1+1={\frac {(n-1)n}{2}}+1}

Étape 2 :

Cette égalité peut aussi s'écrire :

( n 1 ) N 1 + 2 + 3 + + n = ( n 1 ) n + 2 2 {\displaystyle \forall (n-1)\in \mathbb {N} \quad 1+2+3+\dots +n={\frac {(n-1)n+2}{2}}} .

D'après l'égalité au rang n {\displaystyle n} , on a donc :

( n 1 ) N [ n ( n + 1 ) 2 = ( n 1 ) n + 2 2 n ( n + 1 ) = ( n 1 ) n + 2 ] {\displaystyle \forall (n-1)\in \mathbb {N} \quad \left[{\frac {n(n+1)}{2}}={\frac {(n-1)n+2}{2}}\Leftrightarrow n(n+1)=(n-1)n+2\right]}

d'où :

( n 1 ) N [ n 2 + n = n 2 n + 2 2 n = 2 ] {\displaystyle \forall (n-1)\in \mathbb {N} \quad \left[n^{2}+n=n^{2}-n+2\Leftrightarrow 2n=2\right]}

Étape 3 :

Finalement :

n N n = 1 {\displaystyle \forall n\in \mathbb {N} ^{*}\quad n=1} .

L'erreur vient du fait que l'on confond les sommes k = 1 n k {\displaystyle \sum _{k=1}^{n}k} et k = 1 n 1 k + 1 {\displaystyle \sum _{k=1}^{n-1}k+1} .

 

Pseudo-démonstration via un changement de variable non licite lors d'une intégration

Principe

Lorsque l'on effectue un changement de variable lors d'une intégration sur un segment, il suffit que le changement de variable soit un C1-difféomorphisme. Si le changement de variable est effectué trop hâtivement, il n'est pas rare de trouver un résultat absurde en fin d'intégration.

Démarche :

  • calculer l'intégrale de manière correcte ;
  • effectuer un changement de variable erroné ;
  • confronter les deux résultats.

Exemple

Exemple

Étape 1 :

Considérons l'intégrale :

1 1 t 2 d t {\displaystyle \int _{-1}^{1}t^{2}\;{\rm {d}}t} .

Par intégration en tant que monôme du second degré :

1 1 t 2 d t = [ t 3 3 ] 1 1 = 2 3 {\displaystyle \int _{-1}^{1}t^{2}\;{\rm {d}}t=\left[{\frac {t^{3}}{3}}\right]_{-1}^{1}={\frac {2}{3}}} .

Étape 2 :

Effectuons le changement de variable de classe C 1 {\displaystyle {\mathcal {C}}^{1}} (mais qui n'est pas un C 1 {\displaystyle {\mathcal {C}}^{1}} -difféomorphisme) :

u = t 2 d u = 2 t d t {\displaystyle u=t^{2}\Rightarrow {\rm {d}}u=2t\,{\rm {d}}t} .

Ainsi :

{ t = 1 u = 1 t = 1 u = 1 {\displaystyle {\begin{cases}t=-1\Rightarrow u=1\\t=1\Rightarrow u=1\end{cases}}}

d'où :

1 1 t 2 d t = 1 2 1 1 u d u = 0 {\displaystyle \int _{-1}^{1}t^{2}{\rm {d}}t={\frac {1}{2}}\int _{1}^{1}{\sqrt {u}}{\rm {d}}u=0} .

Étape 3 :

Des deux calculs de l'intégrale on en déduit :

2 3 = 0 {\displaystyle {\frac {2}{3}}=0}
 

Articles connexes

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